En écho à notre prochaine lecture en public “Poésie du voyage“ nous rééditons cet enregistrement qu’Anne nous avait proposé en avril 2020 … en plein désarroi dû au confinement.
Redécouvrons donc Blaise Cendrars avec des oreilles neuves !

Comme l’indique Claude Leroy (grand spécialiste de Cendrars) avec une réjouissante exactitude, dans son introduction aux Poésies complètes, d’où est tiré Le complet blanc, “poète, Cendrars n’aimait pas le genre poète“. Car il était de ceux qui vivent la poésie avant de l’écrire, de ceux qui ne se contentent pas d’un destin sur le papier. « Cendrars, précise Claude Leroy, a voulu être celui par qui la modernité arrive – comme un scandale permanent. C’est le profond aujourd’hui qu’il s’attache à célébrer dans son jaillissement, sa profusion, ses rebonds et ses surprises. (…)
Ne pas se ressembler aura été pour Cendrars une règle de vie autant qu’un impératif d’écriture. Étonnant paradoxe : si le ton Cendrars est reconnaissable entre tous, il n’existe pas pour autant de poème à la Cendrars. Entre le petit nombre de poèmes qu’il a signés et leur extrême diversité, le contraste touche au plus grand écart.
Dès qu’une forme risque de tourner à la formule, par volonté ou par contrainte, le poète rompt avec soi-même ». Et Cendrars d’affirmer : “Toute vie n’est qu’un poème, un mouvement. Je ne suis qu’un mot, un verbe, une profondeur, dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus vivant“.

 Paul Morand, Préface

Complet blanc

Je me promène sur le pont dans mon complet blanc acheté à Dakar
Aux pieds j’ai mes espadrilles achetées à Villa Garcia
Je tiens à la main mon bonnet basque rapporté de Biarritz
Mes poches sont pleines de Caporal Ordinaire
De temps en temps je flaire mon étui en bois de Russie
Je fais sonner des sous dans ma poche et une livre sterling en or
J’ai mon gros mouchoir calabrais et des allumettes de cire
De ces grosses que l’on ne trouve qu’à Londres
Je suis propre lavé frotté plus que le pont
Heureux comme un roi
Riche comme un milliardaire
Libre comme un homme

 

Blaise CENDRARS. (1887-1961)  Feuilles de route, poèmes
Editions Denoël 1947, 1963, 2001

Nicolas de Stael , le bateau